Trois façons d’assainir les médias numériques
22 novembre 2017 | Équipe de l'ACA,
L’année n’est pas encore terminée, mais on peut affirmer sans se tromper que la problématique de la publicité numérique a été le sujet dominant en 2017. Les annonceurs du monde entier s’inquiètent à juste titre de la fraude publicitaire, de la sécurité des marques, du manque de transparence des technologies et des milliards que tout ce marasme leur fait perdre chaque année.
Ces maux de tête ont été à l’origine du Forum exécutif de l’ACA qui avait lieu au début du mois et dont le thème était La rédemption des médias numériques : restaurer la confiance.
L’ACA avait invité pour l’occasion trois penseurs de l’industrie au pittoresque siège social de Corus du Vieux-Port de Toronto pour qu’ils décrivent ce qui se fait pour assainir la chaîne d’approvisionnement des médias numériques, pour redonner confiance aux annonceurs et pour restaurer la crédibilité des médias numériques.
« Il y a eu beaucoup de mauvaises nouvelles », déclarait Chris Williams, notre vice-président, Marketing numérique. « Or, la question à se poser est : que fait-on pour corriger la situation? »
Voici un aperçu de ce que les participants ont pu entendre au cours de ces conférences.
L’importance de la confiance
Jason Kint, chef de la direction de la firme new-yorkaise, Digital Content Next (DCN), a ouvert le bal.
Selon lui, l’une des failles fondamentales de l’écosystème numérique qui a émergé en même temps que l’avènement des systèmes automatisés, c’est la méfiance suscitée par la complexité croissante du système. La multiplication des intermédiaires technologiques entre annonceurs, éditeurs et consommateurs a rendu quasi impossible pour les annonceurs de savoir comment leur argent était dépensé.
« Que vous sachiez ou non comment votre budget est réparti, s’il transite par une foule d’intermédiaires qui s’efforcent tous de maximiser leurs profits, il est certain qu’ils en accapareront une part de plus en plus importante », a-t-il expliqué.
Selon sa firme, à l’heure actuelle, moins de 50 % de chaque dollar investi en publicité numérique va réellement à l’achat d’espace publicitaire.
DCN a tenté de remédier à la situation. En effet, il y a un an, son conseil d’administration a accepté une expérience audacieuse visant à reconstruire la chaîne d’approvisionnement : la création d’un échange publicitaire privé faisant le lien entre les annonceurs et des éditeurs de qualité ayant des auditoires bien réels – le tout sans but lucratif. « Tout ce que nous voulions, c’était d’assurer un avenir durable pour la publicité numérique digne de confiance », a-t-il souligné.
C’est ainsi que TrustX a vu le jour en juin dernier, offrant de l’espace publicitaire chez plus de 30 éditeurs de prestige, comme ESPN, Business Insider, Financial Times, The Daily Caller et Newsday. Quelques semaines plus tard, l’Association of National Advertisers des États-Unis a donné un solide coup de pouce à l’initiative en recommandant à ses membres d’en faire l’essai et de participer aux efforts pour remettre de l’ordre dans le système. Des enchères jusqu’à la diffusion des annonces, les transactions effectuées sur TrustX sont complètement transparentes et les impressions achetées, visibles à 100 % par des publics humains – sinon l’annonceur ne paie rien.
« On s’efforce de remettre à zéro le compteur des achats programmatiques pour en assurer la simplicité, l’envergure, la fiabilité et la valeur attendue. »
L’importance de l’authenticité
Cette conférence a été suivie par celle de Joan Brehl, vice-présidente et directrice générale pour le Canada de l’Alliance of Audited Media. Cette dernière a décrit l’ampleur du fléau de la fraude en publicité numérique et lancé un appel à l’action sans équivoque.
Selon elle, il y a environ 329 millions de domaines Internet enregistrés dans le monde, dont pas plus de 11 millions (3 %) sont légitimes. Autrement dit, plus de 300 millions de domaines douteux sont branchés sur les échanges programmatiques, achètent de l’achalandage et vendent de fausses impressions. « Ils volent les annonceurs et les éditeurs. Ce qu’ils vendent est faux. C’est l’équivalent web des contrefaçons de sacs à main ou de montres », a-t-elle expliqué.
Selon elle, les annonceurs sont en partie responsables de la situation, par leur poursuite incessante des auditoires et des impressions au moyen des achats programmatiques. Ils ont perdu le contrôle du monstre qu’ils ont créé… et les détenteurs de ces sites frauduleux peuvent s’en donner à cœur joie et s’enrichir de façon éhontée.
En réaction, plusieurs annonceurs ont réduit brutalement le nombre de sites où ils annoncent. La firme JP Morgan Chase est ainsi passée de 400 000 à seulement 5 000! « Or, à leur grande surprise, a-t-elle commenté, ils n’ont pas constaté de baisse significative de l’efficacité de leurs campagnes. »
Selon elle, ceci signifie que les annonceurs peuvent se montrer plus sélectifs et ne placer leurs annonces qu’auprès d’éditeurs audités par des vérificateurs indépendants et crédibles.
« Le message que je veux vous transmettre, c’est que vous devez réclamer haut et fort que les éditeurs obtiennent la certification de l’AAM. Nous pouvons gagner la guerre contre la fraude publicitaire numérique, mais nous devons d’abord faire la distinction entre les éditeurs dignes de confiance offrant des auditoires composés de vraies personnes et les sites voyous », a-t-elle conclu.
L’importance de la visibilité
Le dernier conférencier était George Ivie, chef de la direction du Media Rating Council, un organisme américain fondé dans les années 50, qui a pris beaucoup d’importance cette année à la suite d’un discours prononcé en janvier par Mark Pritchard, chef de la direction du plus grand annonceur du monde, Procter & Gamble. Ce dernier avait alors déclaré qu’il en avait assez de gaspiller de l’argent en publicité numérique. Ce qui a fait grand bruit dans toute l’industrie.
« [Il nous faut] une évaluation objective, validée pour nous assurer que nous obtenons la visibilité, l’auditoire, la portée et la fréquence pour lesquels nous payons », avait dit M. Pritchard. Selon lui, le MRC constituait le meilleur choix pour obtenir cette évaluation objective. « P&G s’attend à ce que tous nos fournisseurs média – y compris les éditeurs et les firmes d’évaluation des auditoires – subissent en 2017 une vérification accréditée par le MRC et effectuée par des tiers indépendants », a-t-il précisé.
Selon M. Ivie, l’industrie n’a pas accepté facilement la certification MRC comme la norme en matière de visibilité.
« Il y a eu beaucoup de grincements de dents. Notre norme est controversée et dérange, c’est vrai, mais elle permet d’éliminer les annonces non visibles », a affirmé M. Ivie. « Aux États-Unis, par exemple, ce type d’annonce représentait environ 50 % de l’offre d’espace publicitaire numérique. Autrement dit, les annonceurs achetaient des occasions, dont la moitié n’avaient aucune chance d’être vues. Ceci représentait des milliards de dollars », a-t-il expliqué.
Sur le sujet de la fraude publicitaire, il a souligné que, malgré les progrès accomplis dans la prévention des types de fraudes les plus courants, de nouveaux défis pointent à l’horizon.
Selon lui, l’efficacité grandissante des protections et des mécanismes de défense a bel et bien réduit l’incidence de la fraude robotisée – mais les fraudeurs ont adopté de nouvelles stratégies.
« Ceci est un problème. Ce que les fraudeurs font à l’heure actuelle semble être humain ou même l’est vraiment : ils engagent des gens dans des pays où les salaires sont dérisoires et créent ainsi un achalandage artificiel. »
La prise de contrôle des ordinateurs devient également de plus en plus populaire et le nombre des applications mobiles frauduleuses augmente parce que c’est vers elles que se déplacent les budgets publicitaires. « C’est une loi naturelle », a-t-il affirmé. « La fraude suit les transactions ».
L’importance de l’avenir
Pour finir la matinée, les trois conférenciers ont participé à une période de questions. L’auditoire les a interrogés sur de nombreux sujets allant de la formulation des contrats, aux murs fortifiés en passant par leur opinion des mauvais acteurs personnifiant (et faisant beaucoup de torts à la réputation de) certaines marques en ligne. Un membre de l’auditoire – probablement un acheteur média frustré – a souligné la pression exercée sur les agences média pour qu’elles achètent les occasions au plus bas CPM possible, ce qui rend difficile l’achat auprès d’éditeurs de prestige. Ce à quoi Jason Kint a répondu que ces achats à rabais n’entraînaient même pas d’impressions véritablement visibles.
« Les CPM sont plus élevés avec TrustX », a-t-il expliqué. « Mais, si on regarde le taux d’impressions visibles, ces coûts deviennent très concurrentiels – d’autant plus qu’en sachant où passent vos annonces, vous pourrez répondre aux questions du chef des services marketing. Je pense que cela vaut quelque chose. »
Le dernier thème abordé a été le prochain grand changement auquel l’industrie sera confrontée, soit l’application des règles protégeant les données en Europe (GDPR).
Si les annonceurs canadiens et américains seront moins touchés par cet avènement, la situation n’est pas anodine. Compte tenu de l’adoption éventuelle de nouvelles règles sur la protection des renseignements personnels, les conséquences risquent d’être importantes.
« Notre industrie va changer beaucoup », affirmait Jason Kint. « Ces nouvelles règlementations vont écraser tout l’écosystème des technologies publicitaires. »
Ceci va compliquer les choses pour l’industrie, mais selon lui, cela ouvrira aussi certaines occasions.
« La situation peut devenir assez inconfortable pour beaucoup d’entre nous. Mais cela finira par renforcer les liens entre les consommateurs, les sites qu’ils choisissent et les annonceurs qui veulent s’y associer. »
Pour plus d’information sur le déroulement du Forum, consultez des photos et vidéos de la matinée. Les membres de l’ACA peuvent aussi aux captations vidéo et accéder aux écrans de présentation des trois conférences.